Vous ne faites rien ce week-end ? Une petite envie de sortir ? Venez vite voir la nouvelle pièce de théâtre « Comment liquider un fleuron industriel en cinq actes, mode d’emploi ». Signé par un dramaturge prometteur, Emmanuel Macron, la pièce se joue actuellement en France et raconte l’histoire rocambolesque des multiples rachats d’Alstom. Avec les 4 étoiles de notre magazine, cette pièce a tout pour vous passionner : intrigues, mensonges, petites et grandes trahisons. La rédaction vous fait un pitch en 5 actes.
Acte I : Le rachat de la branche énergie d’Alstom par General Electric
2014. 3 ans avant le nouveau monde. Un président normal dirige le pays. Un mastodonte des turbines, l’américain General Electric fait un offre d’achat de la branche énergie d’Alstom, entreprise industrielle française de renom, qui fabrique des turbines et des trains. Ce projet prend tout le monde de court, et en premier lieu le ministre de l’économie et de l’industrie concerné, Arnaud Montebourg.
Tout le monde ? Non. Un intrigant de l’ombre, passé de la haute administration à la finance, et de la finance à l’Elysée avait commandé dès 2012 un rapport sur une telle opération à l'Agence des participations de l’État. Son nom ? Emmanuel Macron. Oui, les auteurs s’arrogent souvent des rôles de choix dans leurs pièces.
Arnaud Montebourg arrache du « président normal » un décret de véto sur les rachats des entreprises stratégiques. Mais une sombre histoire de frondeurs et de cuvée de redressement productif l’écarte des cercles du pouvoir avant qu’il n’active le décret.
L’intrigant de l’Elysée le remplace comme Ministre de l'économie à la fin de l’été. Celui qui semble avoir tout prévu autorise le rachat par General Electric, début novembre 2014. Il n’utilise pas le décret véto. Pour assurer ses arrières, il affirme lors de l'enquête parlementaire qu’il s'était retrouvé devant un projet totalement ficelé...
Le rachat de la branche énergie d'Alstom est clôturé le 2 novembre 2015. Cette branche représentait environ 70% de l'activité d'Alstom.
Acte II : General Electric dans la tourmente
A l'époque, la direction de GE tablait sur une croissance de ses activités soutenue par la demande en centrales à charbon des pays en développement. Déjà le modèle économique n’était pas très prometteur…
Novembre 2018. Un et demi après le nouveau monde. Le modèle de GE s’avère en réalité catastrophique ! L’entreprise affiche une perte nette de 22,8 milliards au troisième trimestre 2018. En cause ? Son aveuglement pour les énergies fossiles, alors que l'ancienne branche énergie d'Alstom pouvait s'orienter vers les énergies renouvelables. Chute des prix de l’électricité de gros, effondrement des commandes de turbines, sur-production due à une augmentation des fermetures de centrales thermiques, tout y passe.
C’est le premier drame de la pièce. General Electric avait promis de créer un milliers d’emplois en France d’ici fin 2018. Il n’en fut rien. L’entreprise renie sa promesse. « Make America great again » ! Les baisses massives de l’impôt sur les sociétés de Donald Trump auront peut-être pour conséquence le rapatriement de l’outil industriel aux Etats-Unis… et les emplois qui vont avec.
Acte III : Siemens veut racheter Alstom… avec l’argent d’Alstom
Une nouvelle idée flotte dans les couloirs ministériels et les sièges sociaux : un airbus du train !La fusion d’Alstom avec Siemens Le nouveau groupe pèserait 15 milliards d'euros de chiffre d'affaires avec 65 000 salariés, dans 60 pays différents. Il s'agirait en taille du deuxième fabriquant de trains au monde. Créer ce géant industriel européen permettrait de rivaliser avec le canadien Bombardier. Déjà en 2014, avait circulé l’idée d’un airbus de l’énergie, mais Siemens n’a pas racheté la branche énergie d’Alstom.
Mais retournement ! La petite musique du géant européen est en fait un leurre. En réalité, Siemens prendrait ni plus ni moins le contrôle d’Alstom, en obtenant 50,7 % du nouveau groupe et la majorité des sièges au conseil d'administration. Cerise sur le gâteau… Siemens ne paiera rien. Lors de son assemblée générale d'actionnaires, le 17 juillet 2018, Siemens s'en est assuré. Les actionnaires d'Alstom toucheront une indemnisation mais c’est Alstom qui la versera, et non Siemens ! En d’autres termes, le groupe paie son propre rachat...
Soulagement dans les chaumières, le PDG d’Alstom, Henri Poupart-Lafarge, n’a pas été oublié. Il a déjà bénéficié d’une hausse de 20 % de sa rémunération (1,8 million d’euros) et s’était garanti une prime d’un million pour la fusion. En cas de départ, il touchera aussi deux ans de rémunération. Le cœur sur la main, les actionnaires d’Alstom, ont accepté de lui verser 3,3 millions d’euros, pour compenser ses droits à une troisième retraite chapeau qu’il ne touchera pas.
Que fera le ministre de l’économie parvenu à un poste jupitérien ? Utilisera-t-il le décret véto ? Ou glosera-t-il sur le géant du train ? En attendant, Alstom passe sous pavillon allemand. Pas un mot sur les risques de restructuration du groupe ! Le dépeçage s’accélère.
Acte IV : Une pincée de promesses sociales
A chaque rachat hostile son lot de promesses d’emploi. On n’en pense probablement pas un mot, mais c’est l’usage, la coutume. Siemens s’engage à conserver l’emploi en France pendant quatre ans. Ce n’est pas grand-chose… Mais c’est bien suffisant pour le président jupitérien. Son ministre de l'économie Bruno Le Maire a signé, sans tiquer, le décret autorisant la vente. Pas d’utilisation du décret véto une nouvelle fois !
Mais les salariés sont dans l’incertitude : rien ne filtre sur la stratégie industrielle, les produits ou quels qui seront développés sur les sites et les conséquences pour l’emploi. La direction a ainsi refusé à l'expert mandaté par le CE l'accès aux documents remis à la Commission européenne.
Acte V : Une bonne dose de lobbying
La « fusion » Alstom/Siemens est suspendue à la décision de la commissaire européenne à la concurrence, Margrethe Vestager. Le 31 octobre, en docte libérale, celle-ci craint que le nouveau groupe soit en position dominante et crée une "hausse des prix", une "diminution du choix" et un "recul de l'innovation". Alstom et Siemens envisagent de vendre des actifs pour diminuer leur taille et obtenir l'autorisation de la Commission.
Pour faire passer la pilule de la fausse fusion, on agite la péril jaune ! Il faudrait pouvoir s’imposer face au mastodonte chinois Crrc. Pour cela, il faut tout de même être assez gros. Mais la Commission semble trouver la ficelle un peu trop grosse, et ne croirait pas à l’entrée de fournisseurs chinois sur le marché européen dans un avenir proche, d’après la CFDT Alstom.
La pièce n’est pas finie. On attend le dénouement final. Fusionnera ? Fusionnera pas ? A ce qu’on dit, Alstom est très actif dans le lobbying. A la Commission européenne, on l’a beaucoup vu sur la directive secret des affaires. On comprend pourquoi ! Avec de telles opérations financières, mieux vaut que ça ne se sache pas.