Discours de la motion de rejet préalable sur la proposition de résolution européenne des Républicains visant à faire respecter le droit international dans le secours des migrants en mer Méditerranée le 28 novembre 2023 à la tribune de l’Assemblée.
Permettez-moi d’abord, d’engager mon propos avec une pensée de solidarité pleine d’affection pour celles et ceux qui à l’instant où je vous parle, sont mobilisés en mer, portant au plus profond d’eux-mêmes le meilleur de l’humanité, le don de soi, l’assistance à autrui, le devoir moral de l’aide inconditionnelle, de la main tendue.
Aux sauveteurs de l’ONG SOS Méditerranée, à ses bénévoles, à l’équipage, aux équipes du pavillon Géo Barents de Médecins Sans frontières et à tous les autres qui loin de l’agitation des propagandistes racistes tiennent bon, souvent sous les flots d’insultes et de menaces, pour poursuivre une mission humaine : sauver des vies quand nos gouvernements regardent ailleurs.
À cet instant, je ne peux m’empêcher d’évoquer la mémoire des centaines de milliers de morts en méditerranée, aux plus de 30 000 disparus depuis 2014, aux 2000 disparues cette l’année 2023, l’année la plus meurtrière depuis 2017 selon l’ONU.
À ce funeste bilan, s’ajoute, la mort des deux exilés d’une trentaine d’années, dans la Manche, la semaine dernière.
Madame la Présidente, je prends sur mon temps de parole pour observer un instant de recueillement avec vous pour la tragédie des morts en Méditerranée.
Collègues, pour toutes ses raisons votre proposition de résolution s’inscrit en opposition frontale à l’Histoire de l’accueil, aux réalités des déplacements de population et surtout, sous prétexte qu’elle chercherait à faire « respecter le droit international dans le secours des migrants » elle ne fait rien d’autres que de dévoyer les règles existantes, bien commun des marins du monde entier.
En réalité votre texte porte en lui une vision du monde qui selon moi est abjecte : celle qui nie une réalité indiscutable, celle de la condition humaine qui est aussi celle de l’exil.
L’exil, est l’invariable réalité des femmes et des hommes, depuis la Préhistoire et avant les migrations qui, remontant la vallée du Nil, se dirigèrent vers le Proche-Orient, pendant qu’une autre migration, venant des hauts plateaux d’Éthiopie, avait traversé le Sud de la Péninsule arabique en direction du sub-continent indien et de l’Asie du Sud-Est.
Mais encore, lorsque sur les rives de la Méditerranée, dès l’antiquité, les peuples se sont mis en mouvement cherchant à fuir la sécheresse et s’y installant tout autour pour y implanter des comptoirs ont donné vie à tant de belles cités.
Ces réalités collègues, imposent une tout autre approche pour notre pays.
La France, n’est pas, n’a jamais été et ne sera jamais une nation ethnique. Ne vous en déplaise, le droit du sang n’existe pas, et le droit du sol, promulgué dès François Ier, est le socle par lequel s’est construit la République.
Dire le contraire, c’est nier la France !
Le devoir de notre patrie est celui de la fidélité la plus concrète à la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen, héritage commun de la grande révolution de 1789.
Honte à ceux qui voudraient par ce texte violent pousser notre peuple à se haïr entre lui-même alors que nous avons mis 3 siècles à nous débarrasser des guerres de religion.
Honte à vous qui vous accrochez à je ne sais quelle idée invraisemblable de pureté ethnique alors que la France est le pays qui a le plus profondément pratiqué la créolisation, héritage merveilleux d’amour et de partage.
Pour toutes ces raisons, nous nous opposons à votre texte, cheval de Troie de votre dangereux et méprisable projet commun Républicains et minorité présidentielle sur l’asile et l’immigration.
Parce que d’abord, nous n’accepterons jamais qu’à la mort s’ajoute l’indicible cruauté des mots, la haine, la stigmatisation des sauveteurs et des secourues.
Enfin, parce que votre proposition méconnait le droit et la réalité du sauvetage en mer, et là collègues permettez-moi de rire.
Nous connaissons votre mépris pour les exilés, rapporteur, mais jamais nous n’aurions pû imaginer que vous méconnaissiez à ce point le droit maritime.
Car en effet, toute votre proposition de résolution repose sur des mensonges, des éléments de langage, et de ce point de vue vous avez de la chance, l’exposé des motifs a disparu de la version finale, la représentation nationale aurait pu rire en coeur de votre incompétence quand vous alléguez dès la première phrase de votre proposition de résolution, que (je cite)
« La France a accueilli le 11 novembre 2022 le bateau humanitaire « Océan Viking » avec 230 migrants secourus en mer à son bord dans les eaux territoriales libyennes » « dans les eaux territoriales libyennes » . C’est ce que vous aviez écrit !
Mais chers collègues, si vous prétendez réformer le droit maritime, imposez-vous le devoir d’en maitriser ses réalités ! Car les bateaux humanitaires, et pour celui que vous citez, l’Océan Viking n’est jamais entré dans les eaux territoriales libyennes.
Il y a une règle simple qui dicte que toute action maritime c’est l’octroi d’un port sûr, et votre proposition prétend remodeler cela alors que c’est bien l’attachement à cette règle qui garantit le respect de la dignité des exilés.
Par ailleurs comme je l’avais déjà fait en commission, je le répète ici, j’affirme catégoriquement que vous mentez. L’opération Triton de l’agence européenne Frontex, avait pour seul objectif de surveiller les frontières, pas de sauver les exilés comme vous essayez de le faire croire. L’opération Thémis actuellement en cours, n’a pas non plus pour mandat principal la recherche et le sauvetage. Il n’y a d’ailleurs aucun bâtiment maritime de Frontex déployé sur zone qui aurait la capacité de mener des sauvetages en Méditerranée centrale.
Par conséquent vous souhaitez donner des prérogatives à Frontex pour organiser les sauvetages alors que Frontex n’a ni bateau dans la zone, ni mandat pour le faire.
De plus, cette proposition de résolution exige de la France que les crimes commis par les passeurs soient reconnus comme des crimes contre l’humanité.
Alors allons-y, et vous nous trouverez à vos côtés, si vos paroles se mêlent aux actes, exigeons du gouvernement de faire la lumière sur les financements européens en Libye qui participe d’une manière directe ou indirecte, d’une manière ou d’une autre à alimenter un système que dénoncent les enquêteurs de l’ONU, je les cite : « l’esclavage dans des prisons secrètes, les sévices sexuelles et les crimes contre l’humanité ». Car oui les Français ont le droit de savoir ou va leur argent et à quoi il sert !
Enfin, je dénonce l’hypocrisie : pointer du doigt les ONG c’est nier les causes des migrations.
Collègues, il faut aller à la racine des problèmes. C’est notre devoir de représentants du peuple de dire que l’immigration est toujours un exil forcé, une déchirure profonde pour quiconque doit s’arracher à sa terre, à sa famille, à ses écoles, à ses cimetières.
Écoutez, le témoignage d’Angèle, rescapée des flots, camerounaise de nationalité, âgée de 27 ans :
« En Libye, j’ai vécu pire que l’enfer, à un moment donné, le viol n’avait plus aucune signification pour moi. Je les laissais faire. Si tu refuses, ils peuvent te tuer. Ça arrive tous les jours. Si tu as de la chance, ils peuvent te vendre. J’avais une amie qui n’a pas eu de chance. L’homme qui l’a achetée était encore plus pervers que les gardiens de la prison. Elle n’a pas survécu. J’ai des brulures de cigarettes partout. Je porte les preuves de ces violences sur tout le corps. Je me disais que si les garde-côtes libyens venaient nous intercepter, je me jetterais à l’eau. »
C’est ça que nous finançons en Lybie. Alors, Il faut aller à la cause des maux et les éradiquer !
On ne doit plus accepter les traités inégaux qui engendrent pour les peuples la misère, l’exploitation des corps et de l’esprit. Nous devons le dire, il est temps de mettre un terme aux maux qui ravagent ces pays !
Collègues, rien ne vous oblige à choisir l’inhumanité, sauf à vouloir chasser sur les terres de l’extrême droite. Ne vous trompez pas de cible, il y a urgence à faire différemment. Chaque jour plusieurs morts en méditerranée centrale, des rapports de naufrages et des personnes disparues continuent à multiplier. Pendant ce temps, les navires d’ONG équipés pour les opérations de sauvetages, avec des équipes formées et prêtes à aider les personnes en détresse, ont été retenus par les autorités italiennes à 13 reprises cette année, empêchés d’intervenir.
Alors, collègues, pour conclure, j’invite chacun, chacune d’entre vous à s’en remettre à la sagesse de Victor Hugo : "Le législateur, en élaborant la loi, ne doit jamais perdre de vue l'abus qu'on peut en faire."
Votre texte n’est pas la voix de la France. Collègues, rejetez-le. Vive la France, vive la République universelle.