Il est 19 heures à l'espace Emile Zola de Villeurbanne. Les militants finissent d’installer les tables et les chaises. Les juristes s’installent. Gabriel Amard, candidat de la Nouvelle Union populaire écologique et sociale (NUPES) à la députation, s’accorde avec Melouka Hadj Mimoune, sa co-lisitière, sur les prises de parole introductives de l’atelier des lois de ce vendredi 3 juin. Le thème du jour ? Rendre obligatoire la rénovation des logements passoires thermiques. Sujet important à Villeurbanne. Cela fait au moins deux mandats que la municipalité s’y attelle avec un élu dédié. Mais pour ce jour, la trentaine de citoyennes et de citoyens se préparent à écrire collectivement une proposition de loi valant pour toute la France. L’atelier est animé par Gabriel Amard et Morgane Guillas, trésorière de sa campagne et déjà familière des méthodes de l’éducation populaire, dont les ateliers s’inspirent. Julien Colmars, facilitateur de réunions publiques se charge de la prise de notes sur un tableau de feuilles (en bon français un « paperboard »). Les trois juristes du jour sont Tammouz Al-Douri, juriste et militant de l’Union populaire à Villeurbanne, Sirine Bechouel et Vivien Rebière, membres du pôle Atelier des lois de la France insoumise. Deux experts, des « fiches vivantes » dans le langage des ateliers, accompagnent les participants dans leurs réflexions : Daniel Ibanez, économiste de l’environnement et lanceur d’alerte et Béatrice Vessiller, vice-présidente écologiste à la métropole de Lyon, en charge notamment de l’urbanisme et du renouvellement urbain et ancienne élue à la rénovation thermique des logements.
L’atelier débute par un brise-glace, pour que les participants fassent connaissance et entrent progressivement dans le sujet du jour. Debout et réunis en cercle, Gabriel Amard leur demande de se positionner selon leur statut de résident : propriétaires ou locataires. Leur donnant la parole, le candidat recueille les témoignages : « la loi Macron m’a fait partir », « je suis propriétaire par obligation”, « je suis locataire et j’en veux à mon bailleur ». Ceux qui sont propriétaires témoignent de leurs difficultés financières à réaliser les travaux. Deuxième consigne du brise-glace : que chaque participant donne sa propre définition de la précarité énergétique. Inspirés, chacun raconte sont quotidien ou celui de proches : « c’est de ne pas avoir les moyens d’être dans les normes », « c’est grelotter en hiver”, c’est “avoir trop chaud l’été” en raison des canicules, c’est vivre dans “des appartements qui ont de l’humidité, surchauffés, avec des pertes d’énergie mais dont on paye quand même le chauffage”. Bref, “la précarité nuit à la santé” explique une habitante, tandis qu’un autre évoque la part trop importante du salaire consacré aux dépenses de loyer et de chauffage - aggravée par la hausse du coût de l’énergie. D’autres enfin estiment que les aides sont « risibles ». « On subit » conclut une Béatrice Vessiller pour qui « il va falloir reprendre le contrôle de sa situation et ne pas faire des choix par défaut ».
Revenus à leur table, par groupe de quatre personnes, les participants écoutent Gabriel Amard énoncer la première consigne. « La Nouvelle Union populaire écologique et sociale souhaite rendre obligatoire la rénovation des logements passoires thermiques ». On part en effet d’une proposition de la NUPES. Mais l’objet de la réunion n’est pas de répéter le programme. Il s’agit plutôt de le discuter, le remettre en cause parfois, le préciser de manière collective et partagée. On parie que l’intelligence collective est productrice d’idées nouvelles, crédibles et porteuses d’espoir. Gabriel Amard appelle les habitants à exprimer, chacun pendant deux minutes, leurs doutes et certitudes quant à cette proposition. « Attention, dit-il, vos deux minutes sont pour vous et vous seul pouvez vous exprimer tour à tour. » Les ateliers des lois ont en effet pour principe de permettre à tous d’exprimer son point de vue, que ce soit un ressenti, une expérience personnelle, ou une analyse, sans hiérarchiser. Les participants n’ont pas tous le même niveau d’étude, la même capacité à parler en public, ni une connaissance pointue du sujet. Procéder de la sorte incut celles et ceux qui seraient le plus éloignés des standards habituels de la politique, où les très diplômés sortant des grandes écoles et universités évoluent comme des poissons dans l’eau et ont une fâcheuse tendance (pas toujours consciente) à monopoliser la parole lors des réunions publiques. Chacun s’étant exprimé, chaque groupe débat en respectant une équité de temps de parole et s’accorde sur une certitude commune, éventuellement un doute. Ils expriment aussi parfois un désaccord. Au bout de 30 minutes, une restitution en plénière est faite et prise en note avec attention par les juristes. Ce travail permettra de rédiger l’exposé des motifs de la proposition de loi. Pour un groupe, le contrôle technique sur la rénovation des logements semble indispensable. Mais qui doit le mettre en œuvre ? Les propriétaires, les bailleurs, les propriétaires occupant leur logement ? Cette obligation suscite immédiatement des interrogations et des doutes. Pour un autre groupe, les rénovations doivent être durables, dans le temps et par les matériaux utilisés (biosourcés, recyclables). Mais ce groupe s’interroge dans le même temps sur les diagnostics énergétiques : un accompagnement plus approfondi peut-il être envisagé ? Un troisième groupe estime que les règles de copropriété sont trop rigides et freinent l’efficacité de la prise de décision. Pour autant, pour certains d’entre eux, c’est l’État qui doit planifier les rénovations et les rendre obligatoires par quartier.
Daniel Ibanez et Béatrice Vessiller interviennent à la fin de cette séquence pour donner quelques repères. Tout d’abord, le financement est primordial. Or l’agence nationale de la rénovation urbaine finance à 85 % les démolitions et seulement 15 % les réhabilitations. Deuxièmement, la rénovation énergétique ne peut se faire au détriment du pouvoir d’achat. Pourtant, les économies réalisées par la rénovation ne compensent pas les dépenses de travaux. Julien Colmards et les juristes prennent ensuite la parole pour présenter la synthèse des échanges. Ces derniers exposent l’architecture d’une proposition de loi. Invités par Gabriel Amard et Morgane Guillas, les participants s’attellent dans un deuxième temps à formuler des propositions précises d’actions.
Vingt cinq minutes plus tard, c’est le moment du débat mouvant. Le principe est simple : dans un espace sans chaises, les participants debout se positionnent d’un côté ou de l’autre de l’espace selon qu’ils sont d’accord ou en désaccord avec la proposition énoncée par l’un des groupes. Mais ce n’est que la première étape. Les personnes en désaccord doivent alors reformuler la proposition pour créer un consensus plus large que la proposition initiale. Chaque amendement fait donc évoluer de part et d’autre de la salle les participants jusqu’à l’équilibre parfait (ou presque) de la proposition. Cet exercice permet de gagner le consensus le plus large au sein des participants, sans pour autant affaiblir l’ambition de la proposition, et de préciser les propositions pour les rendre plus opérationnelles. Cette méthode évacue les propositions fantasques, dangereuses et discriminantes puisque le désaccord d’une seule personne oblige à repenser la formulation. Elle oblige aussi les participants à sortir de leurs postures partisanes, et du mandat que certains ont pu se donner en allant à l’atelier des lois. Aucune dogmatisme ou idée préconçue n’y résiste. L’article 7 témoigne de ce niveau de précision : « A compter du 1er janvier 2030, en cas de résidence ou de bail conclu pour un logement n’ayant pas fait l’objet d’une rénovation énergétique dans les conditions fixées au présent titre, le propriétaire réduit le montant du loyer de 50% ».
Il est 22h, les juristes lisent le texte final. Les participants applaudissent, certains satisfaits du travail collectif, d’autres impressionnés par la qualité de la réflexion commune, et d’autres encore émus d’avoir pu prendre la parole à égalité avec les autres. Gabriel Amard remercie les juristes et les participants et invite à un verre de l’amitié. Petit à petit, chacun quitte la salle, avec l’envie de s’impliquer en politique, de recommencer l’expérience et de voir Gabriel Amard porter à l’Assemblée nationale le texte de loi écrit en commun.